
Samedi 31 Mars une pleine page de la Nouvelle République lui est consacrée. C’est un vrai bonheur de le retrouver encore, après l’avoir découvert et apprécié le 25 Août dernier à Boucoeur lorsqu’il avait animé le stage « Faire ses graines » dans le cadre du Tour Fermes d’avenir.
Le maraîcher tourangeau, à l’affiche de “ On a vingt ans pour sauver le monde ”, promeut une permaculture libre de tout dogme, comme une école de la tolérance et du respect de la nature.
J’aime bien l’époque que l’on vit : ça change vite, et fort. Xavier Mathias, l’une des figures de proue de la permaculture, se réjouit de l’avenir qui se dessine dans le monde agricole, mais pas seulement. Un avenir modelé par la force des choses avec la fin programmée des ressources fossiles, leur pollution et leur cohorte de produits de synthèse.
« C’est vraiment une bonne nouvelle », répète le maraîcher tourangeau, qui la sème à tous vents depuis quelques années sur le territoire d’une France qu’il dit malade de son agriculture. Lui qui est à l’affiche du documentaire long-métrage On a 20 ans pour changer le monde, un hymne à l’agroécologie, est l’une des figures de proue de la permaculture, cette « agriculture permanente » qui va au-delà d’une méthode de jardinage en cherchant « à préserver et favoriser » tous les échanges, « autant sur un plan humain que faunistique, floristique ou climatique », comme Xavier Mathias le définit dans son dernier ouvrage, Au cœur de la permaculture.
Pour cela, il faut passer à autre chose que cette « agriculture intensive et mortifère » de plus en plus décriée. C’est là que la permaculture entre en scène, sur la grande scène après avoir joué des rôles plus intimistes. Avec un premier message, celui auquel on ne s’attend peut-être pas : « L’agriculture actuelle, c’est une profession malheureuse et on ne peut pas faire contre elle, on ne peut pas la montrer du doigt. » Car la permaculture est avant tout « une éthique de la transition » qui, dans toutes ses expressions, n’est pas là pour opposer, simplement pour saisir « une occasion unique qui nous est donnée de changer nos méthodes, changer nos visions. » En douceur. Autant dire que dans un monde où la violence des économies fait loi, ce ne sera peut-être pas facile.
Mais l’optimisme colle à la pensée de Xavier Mathias comme une bonne terre de culture bien grasse aux bottes du jardinier heureux qu’il est : « Le politique n’est jamais source de proposition, il suit la société civile. C’est bien, car cela nous remet la décision dans les mains. Si la société civile dit “ Ça, on n’en veut plus ”, le politique exigera “ Ça, on n’en veut plus ”. Le changement viendra de nous. »
Et la permaculture est là pour nous montrer le chemin. Mais quelle est-elle, au fait ? Ou plutôt que n’est-elle pas ? Le Tourangeau entend tordre le cou à bien des idées reçues qui ont poussé comme mauvaise herbe depuis que le mouvement grandit. A commencer par le mythe d’une super-technique qui reléguerait au rang d’antiquité l’agriculture bio : « La permaculture n’est pas un système de production, assène le maraîcher. On ne peut pas faire de production agricole directement permacole, ce n’est pas fait pour. »
Ah, bon ? En revanche, « on peut changer notre façon de voir et retrouver le plaisir de cultiver ». Quitter doucement, mais pas brutalement, un système conventionnel « totalement artificialisé, qui ne fonctionne pas ». Et si la permaculture n’a pas encore défini un modèle économique – « On peut y arriver, vu comme on est parti » – elle fera « toujours mille fois mieux que nos collègues céréaliers qui vivent sur nos impôts ».
Cultiver autrement, mais ensemble, car la permaculture est bien loin de l’idée d’autarcie. Tout au contraire, il s’agit « de vivre dans une communauté choisie et non pas subie », à l’image de Xavier Mathias, qui vient de contracter avec un agriculteur conventionnel pour le profit de chacun. Ne pas tourner le dos donc, hors chimie de synthèse, aux méthodes de production actuelles, mais en captant ses bons côtés, « en intégrant plutôt que de séparer, en s’appuyant sur la diversité ».
L’idée, c’est que « maintenant que l’agriculture bio a montré que la chimie de synthèse n’est plus une obligation, il faut aller au-delà avec deux nouvelles contraintes, se passer des énergies fossiles et améliorer les conditions sociales ».
Aller de l’avant, même si bien sûr, la permaculture prône « un retour en arrière », une décroissance et un frein à un développement infini, quand bien même le voudrait-on « durable » : « La croissance, elle est finie, car notre monde a des limites, il ne peut pas croître indéfiniment. »
Xavier Mathias se réclame de la « sobriété heureuse » de Pierre Rabhi, un autre défricheur sur les sillons de l’agriculture : « On nous a fait croire pendant cinquante ans que consommer rendait heureux. Or, consommer ne nous rend pas heureux. Ce qui rend heureux, c’est de revenir à la base de la vie : être et faire. C’est ce que la permaculture offre, c’est pour cela qu’elle a ce succès-là. »
Faire. Car, l’oublie-t-on, la permaculture est avant tout… une culture. « Tout ce qui circule sur la permaculture, tout et n’importe quoi, surtout n’importe quoi, nous fait oublier cela : avant tout, il faut être jardinier », insiste Xavier Mathias.
Il faut « apprendre les gestes du jardin, et c’est en faisant les gestes du jardin que l’on va pouvoir porter un regard permacole » sur son carré de culture. Avec les fameux douze principes édictés par l’un des deux pères de la permaculture (1), « c’est une telle belle logique que tout va prendre place tout seul », assure celui qui ne faut surtout pas appeler « permacologue », fuyant les cases, les schémas et les certitudes.
La permaculture « n’est pas figée, elle est toujours en mouvement, à nous d’apporter notre contribution ». Elle n’est pas une science dure, mais « du ressenti, de l’éprouvé » qui se fonde sur « le bon sens » ancestral, qu’il soit d’ici ou d’ailleurs.
Et parlant, avec un enthousiaste intact depuis vingt-cinq ans de pratique, de la réconciliation de l’homme et de la nature, d’une voie intérieure qui passe par le geste. Un geste « humble », qui caresse l’humus de la terre. Humilité, humus, la même racine, aime-t-il à rappeler. C’est celle de l’homme, aussi.
(1) Ceux de David Holmgren. A lire sur fermesdavenir.org et sur permacultureprinciples.com/fr