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Jean-François Marmion : « ​La question de la connerie en politique est brûlante »

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Avec « Psychologie de la connerie en politique », le psychologue Jean-François Marmion dirige un livre qui n’épargne ni les politiques, ni les citoyens.

« Après tout, quel est le pire : gouverner ou voter comme des cons ? » La question plane sur le livre collectif Psychologie de la connerie en politique (éditions Sciences humaines) sous-titré « L’échiquier politique : ses fous, ses rois, ses pions ».

Dirigé par le psychologue Jean-François Marmion, cet ouvrage fait suite au best-seller (1) Psychologie de la connerie et au travail historique mené avec Histoire universelle de la connerie.

Pourquoi isoler la question de la connerie en politique ?

Jean-François Marmion : « La question de la connerie en politique est brûlante ! La connerie est souvent synonyme de gâchis ou d’occasion manquée : le con donne facilement l’impression de trahir les attentes placées en lui, de produire le moindre effort, d’encombrer le paysage. Or les politiques semblent trop souvent indignes de leurs tâches et de leurs fonctions. Toujours en retard, trop petits, trop mous, écrasés par les circonstances, mais jouissant de privilèges illégitimes et donneurs de leçons. »

« C’est oublier un peu vite, cependant, qu’ils ne sont pas arrivés au sommet par l’opération du Saint-Esprit mais parce qu’on leur a donné le pouvoir, ou qu’on les a laissés le prendre. Pourquoi ne pas se retrousser les manches et s’engager soi-même ? La connerie en politique ne concerne donc pas les politiques seuls, mais les citoyens également ! »

« Le politique idéal n’existe pas, l’électeur idéal non plus, mais chacun s’épuise à courir après. »

Jean-François Marmion, psychologue

Qu’ont-ils en commun ?

« Les électeurs nourrissent des attentes démesurées envers les politiques et réciproquement. Déception, mépris et hostilité sont inévitables de part et d’autre. Pour les électeurs, les politiques devraient cumuler hyper réactivité et vision à long terme, charisme monarchique et accessibilité, fermeté mais humanité, le tout en se montrant moralement irréprochables. Tout ce qui n’est pas à la hauteur d’un de Gaulle est perçu comme médiocre, même si le général lui-même n’a jamais fait l’unanimité de son vivant, très loin de là. »

« En contrepartie, l’électeur digne de ce nom, pour un politique, devrait être informé, réfléchi, rationnel, de bonne foi, privilégiant l’intérêt général et au taquet en matière économique et géostratégique. Le politique idéal n’existe pas, l’électeur idéal non plus, mais chacun s’épuise à courir après. L’électeur déçu finit par se méfier instantanément de tout ce qui est politique, et le politique n’accorde aucune confiance à l’électeur versatile. Chacun pense l’autre indigne de la démocratie. »

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On a toujours l’impression que c’est pire aujourd’hui qu’hier. Est-ce un mirage ?

« Hier, déjà, on trouvait des voix tout à fait éminentes et respectables pour dire que c’était mieux avant-hier. L’impression de se trouver au bord du gouffre est une constante à travers l’Histoire. Rien qu’en France, les guerres de religion, la débâcle napoléonienne, les tranchées, l’Occupation et bien d’autres périodes encore avaient des relents apocalyptiques pour les contemporains. »

« Avec l’élection de François Mitterrand, Jean d’Ormesson prédisait des chars russes sur les Champs-Elysées. Puis la gauche, sentant le vent tourner, placardait des affiches avec des citoyens terrifiés s’écriant : ‘Au secours ! La droite revient !’, ou avec un grand méchant loup en costume incarnant la même droite.

« Aujourd’hui, avec la crise sanitaire, le terrorisme et le réchauffement, les politiques évoluent dans un contexte anxiogène qu’ils ont tout intérêt à entretenir pour s’ériger en sauveurs. Hélas ! on voit bien qu’ils sont dépassés par les événements dont ils sont censés nous protéger. On a l’impression que la question électorale se résume à : ‘Avec qui préférez-vous échouer ?’ »

Comment l’ère numérique influence-t-elle ces enjeux ?

« L’ère numérique nous oblige à voir non seulement les événements, mais les acteurs politiques, en face et en temps réel, sans garantir que nous y comprenions quoi que ce soit. Et ce qui nous frappe le plus, c’est ce qui nous semble con. Nous sommes tous plus visibles, mais les cons nous sautent plus que jamais aux yeux puisque ce sont eux qui captent automatiquement notre attention et notre colère, occultant nos semblables plus discrets et nuancés. C’est ce que la psychologie appelle le biais de négativité : on retient surtout ce qui nous stresse. D’où un effet de masse, chez les politiques comme sur les réseaux sociaux, qui donne l’impression que nous sommes cernés alors que rien ne prouve que les cons soient si nombreux qu’on le croit. »

Le pouvoir est une drogue, comme la notoriété. Le pire, c’est l’indifférence. »

Jean-François Marmion, rédacteur en chef de Le Cercle psy

L’ouvrage évoque « Les Guignols ». Est-ce que ce genre de programme, comme l’omniprésence des humoristes, ne participe pas à renforcer l’image de la connerie en politique ?

« Le problème n’est sans doute pas que les humoristes tapent fort, mais que les politiques leur mâchent le travail et tendent le bâton pour se faire battre à cause de leur langue de bois, leurs rodomontades, leurs combines médiocres et leurs dénis permanents de réalité. La culture de l’immunité et de l’impunité est en grande partie révolue : si les politiques veulent se faire respecter, qu’ils commencent par être respectables ! »

« Ceux qui le sont, comme par hasard, se donnent peu en spectacle. Ceux qui se plaignent d’être ridiculisés par les humoristes font tout pour occuper la scène médiatique, comme ces stars de seconde zone qui se plaignent des photos volées dans la presse people mais se précipitent dans les endroits à la mode. Le pouvoir est une drogue, comme la notoriété. Le pire, c’est l’indifférence. »

Vous écrivez : « Comme la politique serait passionnante sans ceux qui la font. » Est-ce possible d’en faire sans connerie(s) ?

« Puisque l’erreur est humaine, aucun politique n’est infaillible. Tous ont fait, font ou feront des conneries. Mais pas seulement ! Or, en vertu de ce fameux biais de négativité que j’évoquais tout à l’heure, nous tendons à ignorer ce qu’ils font de bien et à nous focaliser sur le reste. En ayant souvent la paresse de mieux nous informer, à des sources plus diverses, tant nous sommes tous virtuoses pour juger sans savoir, ni nous soucier de savoir. Ce qui est l’une des définitions de la connerie… »

« Douter des autres, des médias, des apparences, ne suffit pas : il faut avant tout douter de soi. »

Jean-François Marmion, psychologue

Est-ce que le plus grand défi actuel, à l’heure où les fake news et autres théories du complot pullulent, ce ne serait pas justement d’être capable de savoir discerner et identifier la connerie ?

« Oh, mais on sait ! Le con, c’est toujours l’autre ! Celui du camp d’en face, qui ne vote pas comme nous ! Celui qui ne lit pas les mêmes sites, ne s’accroche pas aux mêmes certitudes. En un mot, celui qui n’est pas aussi malin et satisfait que nous ! Il y a toujours eu des ‘fake news’, dès les tout premiers journaux du 17e siècle et même dans la presse alternative de l’époque. Et on oublie que certaines tombent juste… Voyez la version officielle de l’assassinat de Kennedy, qui ne convainc plus grand-monde parmi les historiens… »

« Et puis, l’un des antidotes à la connerie étant la capacité de douter pour se faire sa propre opinion, il est difficile de reprocher aux complotistes d’exercer leur sens critique. Le problème est quand le doute débouche sur une nouvelle certitude arrogante et indéboulonnable. Aujourd’hui, moyennant une modique somme, il est très facile de semer le doute sur tout et n’importe quoi. Il suffit de commander un sondage bidon aux questions orientées et aux interprétations péremptoires, de signer un pseudo article scientifique dans une revue dite prédatrice (qui vous publie dans la journée si vous payez), d’acheter des followers sur Twitter ou des vues sur Youtube et de créer de toutes pièces des controverses en poudre aux yeux. Ironie du sort : le doute, antidote à la connerie, peut aussi l’engendrer… Douter des autres, des médias, des apparences, ne suffit donc pas : il faut avant tout douter de soi.« 

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