
« Mélusine, c’est la fée par excellence de la féodalité », estimait l’historien Jacques Le Goff. La légende raconte qu’elle a construit à Parthenay, Clussais-la-Pommeraie, Lusignan, Mervent, Vouvant ou La Rochelle.
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Héroïne très populaire, elle a inspiré les universitaires les plus pointus. Son histoire d’interdit et de transgression au sein du couple la rend très actuelle.
C’était un samedi de 2015 à Clussais-la-Pommeraie dans le Mellois. En grande pompe, la commune se voyait remettre le diplôme de l’Ordre royal de Mélusine. « La fée est Poitevine mais elle est universelle », proclame le gouverneur de l’Ordre, Jean-Marie Auzanneau, en tenue d’apparat, lors d’une cérémonie similaire à Parthenay la même année. Deux communes, deux lieux marqués par la femme-serpent. Il lui a suffi de trois nuits pour bâtir les remparts, le château et les églises de la capitale de Gâtine. On lui doit aussi des constructions à Vouvant, Mervent, Melle, Saint-Maixent, sans oublier la tour Saint-Nicolas à La Rochelle. Jusque dans la forêt de Chizé où on lui prête d’avoir fait pousser sept chênes joints entre eux par leur base.
Femme-serpent
Une fée architecte mais ce n’est pas le cœur du mythe. Si Mélusine est arrivée jusqu’à nous, c’est pour une histoire de pacte et d’interdit, de monstruosité et de transgression. Raymond de Lusignan est envoûté par sa beauté. Elle accepte de l’épouser mais il doit jurer de ne pas chercher à la rencontrer le samedi. Ils vivent heureux, ont dix enfants. Jusqu’à ce que le frère de l’époux instille le poison du doute : chaque samedi, si elle se cache, n’est-ce pas pour le tromper ? Il n’y tient plus. Regarde par le trou de la serrure et surprend Mélusine dans son bain, femme jusqu’au nombril, serpent en dessous, dotée d’une énorme queue couverte d’écailles. La fée prise sur le fait, se jette par la fenêtre et quitte le monde des humains en poussant un cri surnaturel.
Un personnage du folklore, populaire donc, mais qui a inspiré des historiens aussi émérites qu’Emmanuel Leroy Ladurie ou Jacques Le Goff. « Mélusine, c’est la fée par excellence de la féodalité. L’absence de frontière entre le monde purement imaginaire et le monde transformé en fantaisie, caractérise l’univers médiéval », expliquait celui-ci dans un entretien au Nouvel Observateur en 2005.
Mélusine, jusque dans son nom, demeure pour nous une énigme
Laurence Hélix, universitaire
Mélusine a inspiré des auteurs de BD et des travaux universitaires. Elle plonge dans l’archaïsme le plus reculé en même temps qu’elle est furieusement moderne. Ne faut-il pas voir dans cette histoire de secret, qui sépare Raymond et Mélusine, le symbole de l’incommunicabilité au sein du couple ? « Mélusine, jusque dans son nom, demeure pour nous une énigme », note l’universitaire Laurence Hélix dans un petit livre consacré à la fée. Certains voient en effet dans ce nom une racine celte signifiant « moitié-serpent ». D’autres la contraction de « mère des Lusignan ». Le mythe en dit long en tout cas sur un certain regard porté sur les femmes : « Dans une société dominée par les hommes et les clercs, note Laurence Hélix, il semble bien que l’étrangeté soit associée spontanément à la femme. »