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Sabine Weiss, la pellicule à fleur de peau

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Disparue mardi 28 décembre, la photographe humaniste Sabine Weiss a laissé une trace indélébile dans le monde de la photo et chez ceux qui l’ont connue.

Le sourire espiègle et l’œil tendre, Sabine Weiss a marqué la photographie française. Née le 23 juillet 1924 à Saint-Gingolph, en Suisse, celle qui se considérait comme une « artisane » de l’argentique est décédée mardi chez elle à Paris, à l’âge de 97 ans.
Avec elle disparaît la dernière des photographes humanistes français. Dans les années 1950, elle arpentait les rues du Paris d’après-guerre, capturant sur sa pellicule des moments simples, resplendissants de vérité. Elle y rencontre Robert Doisneau, qui la fait entrer à l’agence photo Rapho. Dans les années 1960, elle fournit des photos de mode pour le prestigieux magazine Vogue. Empreinte d’humanité, de nostalgie et d’humour, son œuvre a marqué l’histoire de la photographie et l’esprit de ceux qui l’ont rencontrée.

« Il y avait dans son œuvre quelque chose qui lui échappait »

En 2015, Sabine Weiss était invitée d’honneur du festival photo de Moncoutant-sur-Sèvre (Deux-Sèvres). Jean-Patrick Jolly, de l’équipe organisatrice, se rappelle d’un « souvenir exceptionnel » au sujet de sa rencontre avec la photographe, en toute simplicité, dans son petit immeuble – « comme une cabane au milieu de la forêt » – dans le 16e arrondissement. Une ambiance chaleureuse hors du temps. « C’était comme entrer dans le saint des saints de la photographie. C’était comme rentrer chez Doisneau ou d’autres grands photographes. Elle a été adorable. » Une femme, sans chichis, qui tutoyait sans tracas, d’une disponibilité incroyable. « Au vernissage elle parlait avec tous ceux qui voulaient un mot, une dédicace. Elle nous a dit : “ Je suis vieille, je ne pourrai pas faire toute la série et tout commenter. ” Au final, elle l’a fait quand même. »
Une passion dévorante de la photographie, qu’elle ne pouvait s’empêcher de transmettre. « On ne peut que se nourrir d’une telle passion », se souvient encore Jean-Patrick Jolly. Avec son regard « simple », « malicieux », « elle disait qu’elle voulait faire des photos simples, qui racontent tout simplement une histoire ».

Virginie Chardin, commissaire de deux de ses expositions, en 2016 au château de Tours et en 2021 au musée Arlaten à Arles, est progressivement devenue une proche. Elle relate une femme « naturellement indépendante, qui a suivi ses intuitions dès sont plus jeune âge, sans se laisser freiner. À 18 ans, elle avait déjà sûrement les pieds sur terre, une envie très forte de se confronter au monde, de voyager, de travailler surtout. »

La réussite d’une vie

Ensemble, les deux femmes ont passé de longs temps à parcourir ses images, ses documents de travail, ses correspondances, pour comprendre son cheminement. « La photographie, c’était plus qu’un travail, c’était sa raison de vivre. » Parfois, des désaccords. « Elle ne comprenait pas pourquoi je choisissais telle image qu’elle trouvait sans intérêt et pourquoi j’en écartais d’autres qu’elle aimait, il arrivait même qu’elle se fâche à ce sujet. » Mais petit à petit, celle qui se refusait à analyser son travail « a changé son point de vue, elle a compris qu’il y avait peut-être dans son œuvre quelque chose qui lui échappait à elle-même ».

« Elle considérait ces dernières années avoir complètement réussi sa vie. Elle ne se prenait pas pour un grand maître de la photographie ni comme une artiste, mais elle considérait avoir fait du bon travail et était extrêmement heureuse quand elle voyait que ses “ petites photographies ” avaient su toucher les autres. C’était cela, pour elle, la réussite. »

La photographe Sabine Weiss apportait un « regard féminin rare », témoigne Raymond Depardon

La photographe suisse Sabine Weiss, naturalisée française en 1995, est morte à 97 ans. Le photographe Raymond Depardon et Laure Augustins, sa plus proche collaboratrice, évoquent la grande artiste humaniste.

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« On a pris conscience de son immense talent tardivement alors qu’elle a traversé toute l’histoire de la photographie européenne », a regretté Raymond Depardon, en apprenant mercredi 29 décembre le décès de la photographe suisse Sabine Weiss à 97 ans. A travers ses photos, elle a apporté un « regard féminin rare », empreint de « tendresse » et d’une « curiosité insatiable pour l’être humain », ont ajouté le photographe de 79 ans, grand admirateur de son oeuvre, et Laure Augustins, sa plus proche collaboratrice.

« Tendresse et délicatesse »

« Nous n’étions pas du même monde, elle faisait partie des humanistes français comme Robert Doisneau, dont on parlait aux Etats-Unis et qui ont été un peu mes pairs, moi plutôt du reportage. Notre point commun c’est un intérêt formidable pour l’humain, avec pour Sabine, un regard féminin, très fin, rare », dit-il. « Je sentais chez elle une compassion et beaucoup plus encore, de la tendresse et une délicatesse qui manquait aux hommes », ajoute-t-il, en se qualifiant lui-même de « jeunot », admiratif.

Laure Augustins, qui accompagnait Sabine Weiss au quotidien depuis 2011, raconte à l’AFP, avec émotion, sa rencontre avec cette femme « rude au travail, pétillante, humble, drôle, généreuse, simple, spirituelle ». Elle s’est donnée pour « mission » de « faire connaître le plus possible » son travail, consacré de son vivant par près de 160 expositions à travers le monde.

« Sabine était heureuse » d’apprécier son travail « après en avoir souvent douté tout en ayant une extraordinaire foi en elle-même ; elle le qualifiait de propre en regardant ses archives, après avoir feuilleté un catalogue de vente de photos de Willy Ronis (1910-2009) ». Sans doute en raison de « sa curiosité insatiable pour l’être humain et la vie des gens et son immense gratitude. Elle disait qu’elle avait eu beaucoup de chance dans la vie mais elle l’avait bien provoquée », poursuit-elle, en racontant que « toute petite déjà, à sept ou huit ans, Sabine Weiss vendait des marrons pour faire des cadeaux aux gens de sa famille ».

Le dernier soir de Sabine Weiss

Raymond Depardon se souvient plus particulièrement d’une exposition à Arles il y a quelques années : « Elle nous parlait, à travers ses photos, de nos parents et de nos grand-parents… elle transmettait l’essentiel, l’unité qui relie tous les êtres humains, sans jamais être larmoyante ». Elle donnait à voir une « présence humaine à laquelle les jeunes photographes semblent revenir en force », ajoute-t-il.

Le centre Pompidou a rendu hommage à une photographe qui à l’instar de Doisneau et Ronis, « a forgé l’image de la ville humaniste des années 1950″ et « au dernier témoin de cet âge d’or de la photographie parisienne ».

Sabine Weiss, dit Laure Augustins, « ne parlait pas d’esthétique mais de l’importance de laisser un témoignage sur son époque, sur le temps qui passe. Au-delà de son travail dans la pub, la mode, qui avait été son gagne-pain en couleur, le noir et blanc était sa détente, elle le conservait dans des boîtes, avec des petits carnets que nous avons redécouverts ensemble avec complicité ». A l’image de sa dernière rencontre avec le public à Deauville en octobre au festival Planches contact où « elle a déroulé sa vie comme une pelote de laine avec humour et malice, oubliant que je lui soufflais les dates et ne gardant que sa joie d’avoir réussi à faire rire les gens ».

« Lundi soir, confie la collaboratrice, la gardienne qui s’occupe d’elle le soir m’a dit qu’elle avait mis du temps à aller jusqu’à son lit car elle a souhaité toucher tous les objets dans son atelier, véritable cabinet de curiosités rempli de pierres, de carnets à dessin, d’ex-voto et objets sacrés, comme si elle leur disait au revoir avant de partir ».

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