
Missak Manouchian au Panthéon : quatre moments à retenir de la cérémonie d’hommage national au résistant
Le résistant arménien, exécuté le 21 février 1944 par les nazis, a été inhumé mercredi soir au Panthéon aux côtés de sa femme, Mélinée.
« Vous entrez ici en tant que soldat, avec vos camarades, avec vos frères d’armes. (…) La France, reconnaissante, vous accueille. » Le résistant Missak Manouchian a été inhumé au Panthéon, mercredi 21 février, quatre-vingts ans jour pour jour après son exécution par des soldats allemands, en 1944. Le cercueil du militant communiste apatride, mort pour la France, a été porté dans le temple aux côtés de celui de sa femme, Mélinée, et d’une plaque portant les noms de 23 camarades de lutte fusillés le même jour, à l’issue d’un hommage national conclu par un discours d’Emmanuel Macron. Voici quatre séquences à retenir de la cérémonie.
La lecture de la lettre de Missak à Mélinée Manouchian par Patrick Bruel
Les derniers mots d’un condamné. Parmi les moments les plus bouleversants de la cérémonie de panthéonisation, la lecture de la lettre d’adieu écrite par Missak Manouchian à sa femme, le 21 février 1944, quelques instants avant d’être fusillé par les nazis aux côtés de ses camarades.
Patrick Bruel, qui a lu le texte rédigé par Missak Manouchian à sa bien-aimée, a décrit sur France 2 l’ »immense honneur » et « privilège » d’avoir été choisi. L’artiste avait consacré une chanson aux résistants exécutés au mont Valérien avec Aux souvenirs que nous sommes, dans son album Encore une fois, sorti en 2022. Il a ensuite été sollicité par Jean-Pierre Sakoun, président de l’association Unité laïque, pour intégrer le comité de parrainage pour la panthéonisation de Missak Manouchian.
Cette lettre devenue historique, et sa réinterprétation par le poète communiste Louis Aragon en 1955, avec le poème Strophes pour se souvenir, ont inspiré des hommages de nombreux artistes. Parmi eux, Léo Ferré, qui a composé en 1959 L’Affiche rouge, en référence au document placardé dans les rues françaises par les nazis pour discréditer Manouchian et plusieurs autres figures de la Résistance.
« L’Affiche rouge », chanson de Léo Ferré, interprétée par Feu! Chatterton
« Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant. » C’est le groupe français Feu! Chatterton qui a été choisi pour interpréter L’Affiche rouge, chanson composée par Léo Ferré à partir d’un poème de Louis Aragon en hommage aux résistants fusillés au mont Valérien.
Le groupe reprend régulièrement cette chanson en concert depuis l’automne 2021. « C’était comme une évidence : c’était à l’automne 2021, pile pendant la montée d’Eric Zemmour lors de la campagne présidentielle », expliquait à l’AFP le multi-instrumentiste du groupe, Sébastien Wolf. Le musicien a expliqué à l’AFP qu’il espérait faire réfléchir, dans un public « de tout bord politique » : « Ceux qui ont fait de mauvais choix, à cause de la crise, de la peur, peut-être comprendront-ils que ce n’est pas l’étranger le problème. »
Emmanuel Macron salue le « soldat de l’ombre » qui « se voulait poète »
« Qui meurt pour la liberté universelle a toujours raison devant l’histoire. » Le président de la République a rendu hommage dans un discours à Missak Manouchian et à son engagement, « ivre de liberté et enivré de courage, enragé de défendre le pays qui lui a tout donné ». Emmanuel Macron est revenu sur le parcours du résistant, rescapé du génocide arménien et réfugié en France, qui « rêve d’émancipation universelle » et « s’engage contre le fascisme au sein de l’Internationale communiste ».
Un hommage aux « Français de préférence » et « d’espérance »
« La France de 2024 se devait d’honorer ceux qui furent 24 fois la France. » Lors de son discours, Emmanuel Macron a insisté sur l’engagement en faveur de la France de Missak et Mélinée Manouchian, mais aussi des 23 autres résistants exécutés le 21 février 1944.
Une manière de mettre en exergue l’un des objectifs de cette panthéonisation : « Rappeler qu’être français, ça ne tient pas à l’origine, à la religion, au prénom, mais à la volonté ».
L’histoire thouarsaise d’une figure de la Résistance
En 1944, Josiane Thomazeau a dix ans quand sa famille héberge Mélinée, épouse du poète et résistant Missak Manouchian, fusillé peu avant.
Soixante-sept ans après la signature de l’Armistice, l’histoire racontée par la Thouarsaise Josiane Lepeltier (née Thomazeau) n’en est que plus touchante. « J’avais dix ans. Et je ne me rendais pas compte quel personnage était la femme qui dormait dans mon lit… »
Mais il y a quelques semaines, devant la télé, tout s’est éclairé. « L’armée du crime », le film de Robert Guédiguian, lui révèle l’évidence : « Quand j’ai vu l’actrice qui incarnait son personnage(Virginie Ledoyen, ndlr) , cela a réveillé des souvenirs intenses. J’ai immédiatement pensé à elle. »Elle, c’est donc Mélinée Manouchian (1913-1989), épouse du poète et intellectuel arménien Missak Manouchian, plus connu pour son parcours de résistant, qui lui valut d’être fusillé le 21 février 1944 (lire ci-dessous).
A pied jusqu’à Moutiers…
« Début mai 1944, nous vivions rue Montesquieu à Thouars,raconte Josiane. Ma sœur et mon beau-frère(résistant qui s’était évadé de la prison d’Angers, ndlr) étaient cachés à Migaudon, hameau de Moutiers-sous-Argenton. Il leur a fallu rallier Paris à vélo pour raisons de santé, en roulant la nuit et en se cachant le jour. Maman et moi sommes donc allés chercher à pied leur bébé Gilles, âgé de quelques mois, pour le ramener à la maison. Au retour, mon père vient au-devant de nous pour annoncer qu’une femme attendait à la maison. Au début, maman ne semblait pas très contente… Mais c’était Mélinée Manouchian. »
« Cachée par mon père dans la vigie du train… »
Et son père, c’est Eugène Thomazeau, cheminot et résistant communiste. « En fait, il avait pris le risque de la cacher dans la vigie du train qu’il conduisait, la menant ensuite à la maison par un petit chemin dans le quartier de la Folie, rue Montesquieu. Elle a tout de suite participé à notre vie, particulièrement en s’occupant du bébé Gilles. Elle m’a même montré comment on priait… Au bout de trois jours, le réseau thouarsais étant bien organisé, mon père a trouvé un moyen de la faire partir. J’ai compris aujourd’hui pourquoi mes parents m’avaient fait dormir avec elle dans leur chambre : à l’époque, du côté nord de la maison, il n’y avait ni route ni chemin. C’était la campagne, avec juste quelques maisons de cheminots. En cas de problème, elle pouvait se sauver par là. »Et de conclure : « Je ne l’ai jamais revue. »Jusqu’à l’autre jour, à la télévision.
Quand Mélinée Manouchian œuvrait en mai 1944 pour la Résistance thouarsaise
Mise à l’honneur et panthéonisée en même temps que son mari, Missak Manouchian, le 21 février, Mélinée Manouchian était elle aussi engagée dans la Résistance et la lutte armée contre le nazisme.
Et, dans son parcours clandestin, toujours tumultueux quand on doit vivre dans l’ombre, elle a fait une étape à Thouars. C’était en mai 1944. À l’époque, son époux avait déjà été arrêté (c’était le 16 novembre 1943) et exécuté (le 21 février 1944).
Sa mission : organiser le réseau de Résistance local. Elle arrive à Thouars grâce à la complicité d’Eugène Thomazeau, cheminot thouarsais et résistant communiste (comme elle). Cachée dans la vigie de la locomotive, elle circule sans encombres, et elle est emmenée par les petits chemins chez le conducteur de train, rue Montesquieu.
Elle poussait le landau
Elle s’implique alors dans la vie de famille et est présente quand Eugène Thomazeau et son épouse accueillent leur petit-fils, Gilles. Ses parents, Jacqueline et Lionel Beaulieu, ont dû quitter leur cachette à Moutiers-sous-Argenton (Lionel était également résistant et s’était évadé de la prison d’Angers) pour rallier Paris, à vélo. Leur bébé, âgé de quelques mois, ne pouvait pas les suivre dans le périple et a donc été confié aux grands-parents.
Aujourd’hui, le bébé est âgé de 80 ans, et habite toujours dans le centre-ville de Thouars. Gilles Beaulieu n’a, évidemment, aucun souvenir de cet épisode. Néanmoins, il garde en mémoire ce que ses proches, également présents durant le séjour de Mélinée Manouchian, lui ont raconté.
C’est ainsi qu’il sait que cette grande figure de la Résistance s’est montrée une invitée très maternelle, n’hésitant pas à faire sauter le bébé sur ses genoux, et à pousser le landau dans lequel il était installé dans les rues de Thouars, lors des rares sorties qu’elle s’autorisait.
En trois jours, Mélinée Manouchian avait pu mener à bien sa mission. L’heure pour elle de repartir poursuivre son grand combat. Une fois encore aidée par le même Eugène Thomazeau pour quitter Thouars.
Décédée le 6 décembre 1989, son corps a été admis au Panthéon avec celui de son mari le 21 février 2024 au cours d’une cérémonie présidée par Emmanuel Macron.
Une manière de mettre en exergue l’un des objectifs de cette panthéonisation : « Rappeler qu’être français, ça ne tient pas à l’origine, à la religion, au prénom, mais à la volonté ».
L’Affiche rouge
Paroles
Ah
Ah-ah-ah-ah
Vous n’avez réclamé la gloire, ni les larmes
Ni l’orgue, ni la prière aux agonisants
11 ans déjà, que cela passe vite 11 ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L’affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants
Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos « morts pour la France »
Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos derniers moments
Et c’est alors que l’un de vous dit calmement
« Bonheur à tous, bonheur à ceux qui vont survivre »
« Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand »
Adieu la peine et le plaisir, adieu les roses
Adieu la vie, adieu la lumière et le vent
Marie-toi, sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan
Un grand soleil d’hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le cœur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée, ô mon amour, mon orpheline
Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant
Ils étaient 20 et 3 quand les fusils fleurirent
20 et 3 qui donnaient leurs cœurs avant le temps
20 et 3 étrangers et nos frères pourtant
20 et 3 amoureux de vivre à en mourir
20 et 3 qui criaient la France en s’abattant
Ah-ah
Ah-ah
Ah-ah
Source : Musixmatch
Paroliers : Louis Aragon / Leo Ferre
Paroles de L’Affiche rouge © Les Nouvelles Edi.meridian
Strophes pour se souvenir
Vous n’avez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l’orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servi simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L’affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants
Nul ne semblait vous voir français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos derniers moments
Et c’est alors que l’un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan
Un grand soleil d’hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le cœur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant
Louis ARAGON, poème issu du Roman inachevé, Gallimard, 1956
https://www.youtube.com/watch?v=SFt2v4OSTbU